Article du Parisien du 7 octobre 2025
https://www.leparisien.fr/societe/la-reponse-ne-peut-pas-tout-le-temps-venir-de-lecole-dans-ce-college-de-rouen-on-napplique-pas-la-pause-portable-07-10-2025-FAM7QEJWWVBQLOSJDR2XTP4AMM.php
Ici, pas de tableau Excel, mais un cahier classique à grands carreaux. Depuis la rentrée scolaire, Patrick Bedel, le principal du collège Barbey-d’Aurevilly à Rouen (Seine-Maritime), note consciencieusement les portables confisqués aux élèves. À côté du nom de chaque collégien, il inscrit le motif incriminé.
« Depuis le 1er septembre, nous avons saisi huit portables. Les deux derniers, pas plus tard que vendredi. L’un, en cours d’EPS (éducation physique et sportive) et l’autre, dans la cour de récréation : l’élève avait reçu son premier smartphone le matin même, il n’a pas résisté à la tentation de montrer son fond d’écran à un camarade », détaille le principal, également membre de l’exécutif de ID-FO, le deuxième syndicat des chefs d’établissement.
Dans cet établissement du centre-ville rouennais, l’équipe pédagogique applique scrupuleusement la loi de 2018, qui interdit l’usage du téléphone portable, par les élèves, dans l’enceinte scolaire. Mais elle ne respecte pas la nouvelle norme édictée par le ministère de l’Éducation nationale en cette rentrée – la « pause portable », qui consiste à prélever celui-ci, dès que l’enfant a franchi le seuil de l’établissement.
Avant l’été, la direction s’est bien posé la question de la mettre en place. Mais le manque criant de moyens financiers, humains et matériels l’ont contrainte à rejeter l’idée.
Seulement 8,5 % des collèges appliquent la nouvelle norme
Un cas loin d’être isolé. À peine 8,5 % des 5 300 collèges de France appliquent « portable en pause », selon un sondage réalisé auprès de ses adhérents par le SNPDEN, le syndicat majoritaire chez les chefs d’établissement. « Personne ne nous en a parlé, confirme Gabin, élève de 3e. De toute façon, pour moi, ça ne changerait pas grand-chose. Mon téléphone est au fond du sac et je ne l’utilise pas. C’est plus pour ceux qui auraient la tentation de s’en servir mais en vrai, ici, ils ne sont pas nombreux. »
À Barbey-d’Aurevilly, anciennement lycée Jeanne-d’Arc, où l’écrivaine « nobelisée » Annie Ernaux a étudié, le bâtiment du XIXe siècle en impose, avec son horloge d’époque, mais la cour n’est pas gigantesque. Cent mètres de long, trente mètres de large à vue d’oeil. Ce lundi matin, en pleine récréation, les 570 collégiens sont à touche-touche et les trois surveillants, contraints de courir partout pour exercer leur vigilance.
Pour les mettre dans des pochettes, « il aurait fallu dépenser 6 000 euros »
Dans un coin assombri par la couverture du préau, quelque 200 casiers s’entassent contre le mur. « Ce sont ceux que se partagent les 6e et les 5e, explique Patrick Bedel. Si l’on voulait les utiliser pour y déposer les portables, il
en faudrait 400 de plus. Je ne saurais pas où les mettre et, de toute façon, je ne prendrais pas cette responsabilité, car s’il y avait des vols… »
La direction a également écarté les pochettes magnétiques, utilisées l’an dernier, lors de l’expérimentation menée dans un peu moins de 200 collèges. À 10 euros la housse, dans laquelle les élèves enferment leur smartphone tout au long
de la journée avant de la démagnétiser le soir, « il aurait fallu dépenser environ 6 000 euros ». « Nous n’avons pas ces moyens financiers et nous n’avons pas sollicité le département pour nous aider », justifie le chef d’établissement.
Contacté, le conseil départemental, qui n’a pas prévu d’aider à la mise en place du dispositif, nous a indiqué n’avoir reçu aucune demande de financement d’un collège de Seine-Maritime pour « portable en pause ». Le ministère, lui, ne veut rien « imposer aux collectivités », quand bien même Élisabeth Borne, la ministre démissionnaire, indiquait dans les colonnes du Parisien , à quelques jours de la rentrée scolaire : « Dans les prochains mois, cette mesure sera en
oeuvre dans tous les collèges, en lien avec les collectivités. »
Le dispositif, qui doit se déployer d’ici à la fin du mois de décembre dans tous les collèges, ne représente pas seulement un défi financier. À Barbey-d’Aurevilly, le personnel disponible fait aussi cruellement défaut. Ce lundi, ils sont quatre surveillants – aussi appelés assistants d’éducation – à se partager la surveillance de la cour, des couloirs, ou de la permanence.
« À 8 heures, il y a à peu près 250 élèves qui franchissent les grilles en 15 minutes. Ils sont près de 300 à 9 heures, alors que la porte n’est ouverte que 5 minutes. Je ne vois pas comment, en un laps de temps aussi court, on pourrait vérifier si les élèves ont déposé leur téléphone dans un casier, une pochette ou une valise collective. C’est injouable », estime un surveillant.
La fouille d’un élève n’est pas autorisée
Pour Patrick Bedel, la mesure est d’autant plus déconnectée de la réalité du terrain que les élèves sont en capacité de la contourner aisément. « Nous ne sommes pas autorisés à fouiller un élève, rappelle le chef d’établissement. Au moment de ranger son portable, le collégien peut nous mentir et dire qu’il n’a pas son smartphone ce jour-là alors qu’il se trouve au fond de sa poche. Ou alors, il peut mettre un téléphone dans le casier et en avoir un autre dans son sac. »
Et un autre responsable éducatif de pester, sous couvert d’anonymat : « J’en ai marre de gérer des problèmes qui ne relèvent pas de l’Éducation nationale. La réponse ne peut pas tout le temps venir de l’école, elle doit aussi être le fait des parents. Notamment dans le cas du smartphone. »
La collecte des téléphones portables des élèves reste très peu appliquée dans les collèges, parfois notamment, à cause d’un manque de moyens et de place.
Par Frédéric Gouaillard, envoyé spécial à Rouen (Seine-Maritime)