Discours de rentrée Orléans-Tours
Monsieur le Recteur, chers collègues,
Si cette rentrée 2023 sera « techniquement réussie » grâce à la conscience professionnelle et à la loyauté de tous les personnels de direction, néanmoins, à quelques jours de la pré-rentrée, de nombreuses inquiétudes persistent quant au déroulement de l’année scolaire. Si des textes ont été publiés en juillet et en août permettent de “légaliser” les powerpoint de travail de fin d’année scolaire 2022-2023, il nous manque toujours des précisions sur différents sujets.
D’autre part, le contexte de la rentrée laisse apparaitre un fort contraste entre le dialogue social académique et le dialogue social national.
A l’échelon académique, nous pouvons nous appuyer sur des relations de qualité, un bon fonctionnement du groupe Blanchet.
Au cours du printemps un travail de concert entre les quatre organisations syndicales représentatives des personnels de direction et le rectorat permet d’aboutir en cette rentrée à la déclinaison académique de la charte de pilotage en EPLE.
Mais que dire de la gouvernance nationale ?
Elle est indépendante du ministre en place.
Elle est autoritaire et violente.
Elle est de plus en plus marquée par des postures idéologiques.
Elle nie le temps long de l’éducation et se complaît dans les éléments de langage.
Telles des lames de fond, les circulaires emportent avec elles toute la hiérarchie éducative dans un tourbillon de confusion, le plus souvent pour répondre aux injonctions des sondages, de la rue, dans une vie politique de plus en plus polarisée.
Selon Souâd Ayada, inspectrice générale, ancienne présidente du conseil supérieur des programmes
« La finalité même de l’institution est perdue de vue par la surenchère des exigences qui s’adressent à elles »
Aujourd’hui, personne n’est en mesure de formuler en quelques principes concis quelles sont les missions de l’Education Nationale. En revanche, elle doit répondre à toutes les exigences nouvelles des usagers, dans un contexte de contraction des moyens, du moins pour le fonctionne général.
De notre côté, nous savons que nous devrons mettre en œuvre des nouveautés, sans que rien dans le millefeuille ne soit supprimé. La circulaire de rentrée s’apparentant à un catalogue, nous aussi pouvons adopter cette forme. Nous savons que nous devrons mettre en œuvre :
- Le PACTE comme travaux pratiques de la nouvelle gouvernance : à tous les niveaux, se manifeste un déni de la charge de travail avant une réforme. Concernant nos missions, nous serons encore plus au guidon de STSWEB, d’EXCEL, dans une logique comptable, et sans adjoint supplémentaire. Comme si cela ne suffisait pas, la circulaire invite les rectorats à envoyer des équipes de contrôleurs de manière aléatoire pour vérifier que les personnels de direction ont bien rémunéré des services faits. C’est bien connu, nous avons la fâcheuse habitude d’acheter la paix sociale en rémunérant des personnels pour des tâches fictives, c’est pourquoi des contremaîtres viendront vérifier le travail des exécutants que nous sommes devenus !
- La réforme de la sixième, nouveau pansement sur une jambe de bois
- La formation à l’orientation dès la 5e avec les mêmes horaires
- La lutte contre le harcèlement comme nouvelle priorité sans moyens humains
- La transformation des établissements en antenne de l’ARS pour vacciner contre le papillomavirus
- La mise en place d’un protocole de suivi de la santé mentale grâce à une formation flash pour les assistants d’éducation et sans personnels de santé en quantité raisonnable (c’est bientôt nous qui aurons besoin d’être suivis…)
- PIX 6e, PIX 5e, PIX 4e, PIX 3e
- Évaluations nationales 6e et 4e
- Inclusions d’élèves aux handicaps sévères sans transfert de moyens du secteur médico-éducatif
- Augmentation exponentielle des aménagements d’examens dans une logique de validation de toute les demandes, face à l’usager-électeur-roi
- Réforme de la voie pro dans le déni de l’absentéisme en classe et de la maîtrise des fondamentaux
- Nouvelle réforme du bac techno et général
- SNU
- Refonte de « l’éducation à » pour 2024 à la guise du nouveau ministre, en commençant par l’Education morale et civique…dont les contenus sont récents
- Modification des horaires de journée en éducation prioritaire et raccourcissement des vacances. A quand un pass « colo » géré par les personnels de direction ?
J’arrête là la liste mais je pourrais continuer. Bien sûr, face à toutes ces priorités, nous faisons des choix, mais la gestion du quotidien prend parfois le dessus et mène à l’épuisement. De nombreux collègues cherchent une porte de sortie vers un emploi public dans un ministère moins maltraitant que le nôtre. Vous le savez, des collègues nous ont quittés dans des circonstances tragiques. D’autre renoncent à entrer dans la profession car la violence systémique de la gouvernance est maintenant très visible.
Face à l’opinion ou à la rue, nos gouvernants ont choisi les éléments de langage et le buzz, en nous piétinant.
Le ministre nouvellement nommé n’a-t-il pas déclaré au bout de quelques heures qu’il serait le ministre du retour de l’autorité à l’école ? Eh bien chiche ! Et pour commencer dès maintenant, nous vous invitons, monsieur le recteur, à ne pas proposer d’annuler en appel la décision d’un conseil de discipline alors que la procédure a été respectée. Nous invitons mesdames et messieurs les DASEN à répondre avec diligence aux parents qui nous mettent en cause. Parfois, nous attendons longtemps le courrier de soutien, parfois, il n’arrive pas. Trop de parents défendent leur progéniture contre le collectif. Nous ne pouvons pas être les seuls à leur rappeler leurs obligations. Nous avons besoin de bien davantage que des lettres-types à envoyer aux parents. Sans changement véritable de posture à tous les niveaux, les mots du ministre ne seront, comme bien d’autres, que des éléments de langage.
L’autorité n’est pas l’autoritarisme, elle ne se décrète pas. L’autorité c’est la faculté d’être écouté et obéi. Elle s’appuie sur la compétence des acteurs éducatifs à l’heure où chacun s’improvise expert.
Concernant la laïcité, Indépendance et direction a alerté le ministère il y a plus d’un an (en juin 2022) et nous nous réjouissons que cette problématique soit finalement reconnue par tous après qu’elle a été minimisée voire ignorée par beaucoup. Nous attendons maintenant un texte clair sur le port des abayas et des qamis. Le ministre a déclaré hier vouloir écouter davantage les chefs d’établissement. Pourvu que cette déclaration soit suivie d’effets !
Indépendance et Direction demande depuis plus d’un an que la question de nos conditions de travail soit traitée en CSA ministériel. Nous demandons également que la revalorisation de notre rémunération soit étudiée avec sérieux. Dans le contexte de revalorisation des enseignants, et compte tenu de nos conditions de travail, qui voudra demain devenir personnel de direction ? La question de notre sécurité se pose également après le drame de Lisieux. Monsieur le Recteur, quand une alarme sonne au rectorat, est-ce vous qui allez voir ?
Compte tenu de tout cela, la rentrée est difficile.
La pénurie d’enseignants pèse très lourdement sur nos épaules. En dépit des efforts de réorganisation des services de la DPE, de nombreux jumelages de postes de professeurs n’étaient pas connus en juillet. Certains ne le sont pas aujourd’hui.
Les injonctions qui pèsent sur nous et qui correspondent à des promesses faites aux usagers (comme « un enseignant devant chaque classe »), dans la mesure où elles ne seront pas réalisables, nous désignent d’emblée comme coupables des dysfonctionnements du système. Ce sont notre crédit, notre légitimité, notre autorité qui sont atteints.
Un système ne fonctionne bien que lorsque ses personnels sont loyaux et confiants. La loyauté est l’incarnation de l’institution et la confiance le transfert de charges. Malheureusement, aujourd’hui, en raison du hiatus entre les annonces et la prise en compte du terrain, seule la première condition est encore remplie. Nous ne sommes plus loin du point de rupture.
Chers collègues, nous vous souhaitons une bonne rentrée, le meilleur possible, et surtout, sachez que nous sommes disponibles pour vous accompagner, sachez que vous n’êtes pas seuls.
Monsieur le recteur, nous souhaitons poursuivre avec vous notre collaboration, dans l’intérêt de nos collègues, et dans celui du Service Public d’Education. Mais en l’état, nous demandons que les personnels de direction ne soient pas tenus pour responsables des objectifs qui ne seraient pas atteints.
Merci de votre attention