Gâchis ?

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir,
il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
De l’esprit des Lois, 1748, Montesquieu

Au printemps 2012, il paraissait évident à l’observateur étranger que la semaine de 4 jours vivait ses derniers instants Comment se fait-il que 9 mois plus tard, l’accouchement soit si difficile et que l’opposition la plus fournie provienne des enseignants du 1er degré ?

Tout d’abord, l’analyse de l’échec scolaire dans le 1er degré n’a pas été réellement menée. Les enquêtes nationales et internationales effectuent souvent un constat à l’entrée et à la fin du collège avec des explications générales et peu ciblées sur la fin de l’école élémentaire ; la diminution du nombre de RASED ne pouvant à l’évidence constituer l’explication principale de la chute des résultats.

Ensuite, l’absence de questionnement à propos du temps de travail et de la rémunération des enseignants a été frappante : sujet catégoriel par excellence voire corporatiste pour certains, il n’avait donc pas sa place au sein de la Concertation estivale.

Voilà au final une bonne idée appuyée par un vote historique de 80% des enseignants pour le candidat élu en mai 2012 se transformer en 80% de grévistes dans le 1er degré à Paris en janvier 2013. Pourquoi ? Parce que ce pouvoir n’écoute pas les revendications des personnels sur le terrain et qu’il pense détenir La Vérité, conforté en cela par des organisations serviles. Il en est de même pour le second degré comme nous allons le voir maintenant …

Au début était le diagnostic.

Le diagnostic posé lors de la Concertation est juste : oui, l’Ecole dévisse en France. Mais après ? Pourquoi cette volonté systématique de contourner les organisations syndicales, majoritaires, qui n’appartiennent pas à cette majorité progressiste du changement, comme elle aime se qualifier ?

Nous ne croyons pas à iD-FO que le système éducatif pourra durablement évoluer sans un accord avec les personnels. Or, si une majorité de parents, des associations périscolaires et de l’encadrement supérieur soutient les projets de réformes, la majorité des enseignants y est opposée ou s’abstient.

Il n’est pas possible de travailler localement contre les enseignants, les ministres précédents qui ont essayé s’y sont cassés les dents et nous ont épuisés, nous personnels de direction. Mais, il ne faut pas à l’inverse nous oublier et nous rendre invisibles !

Or, aujourd’hui, avec ces projets de loi, sur l’Ecole, sur la décentralisation et sur l’enseignement supérieur, nous craignons d’être davantage écartelés entre des intérêts inconciliables, des échelons de décision concurrents et des vides juridiques abyssaux.

Quelques exemples pour éclairer le propos

L’approfondissement de la liaison école-collège ne nous choque pas a priori, mais cela va nous poser des questions juridiques systématiquement évacuées.

Le choix du ministère est d’envoyer les personnels de direction et les IEN « au front » pour créer une dynamique de projet et faire ainsi évoluer les mentalités et in fine les statuts. Nous pensons à iD-FO que si la politique éducative est aujourd’hui de rapprocher pédagogiquement le collège de l’école, il faut alors qu’ils convergent juridiquement. Tous les pays qui ont fait ce choix ont procédé de la sorte.

En effet, « l’Ecole Fondamentale » (de l’école à la fin du collège), comme la nommait le SNI et la FEN dans les années 70, tout comme la « secondarisation » voulue par le SNES depuis plus de 30 ans, nient la spécificité du collège.

Autre exemple, les élus locaux (dont un grand nombre se trouve actuellement dans le parti de la majorité) veulent intervenir et contrôler l’utilisation des fonds importants investis dans l’Ecole. Intentions louables et justifiées, mais comment ? Le contrat d’objectifs tripartite est l’exemple de la fausse bonne idée. S’il sert à quelque chose, il faut l’évaluer et se pose alors la question de son contenu partagé et du statut de l’évaluateur. Comment faire avec un chef d’établissement à multiples facettes, représentant de l’Etat, de l’EPLE et de la collectivité ? La logique de ce contrat tripartite serait de dissocier physiquement le représentant de l’Etat de celui de la collectivité locale, donc que nous abandonnions la présidence du CA à l’élu local (comme dans l’enseignement agricole), ce que 80% des personnels de direction refusent !

Au lieu de cela, une nouvelle usine à gaz est créée, qui porte en germe la double tutelle sur les personnels de direction et l’application concrète est renvoyée aux EPLE et aux rectorats.

Une grande part des élus locaux de la majorité politique actuelle est issue de la fonction publique et plus particulièrement du monde de l’enseignement. Ces élus connaissent de l’Ecole surtout les enseignants, le 1er degré et leur chef, l’inspecteur. De façon générale, cette majorité ne comprend pas bien ces cadres intermédiaires que sont les personnels de direction, capables de bloquer ses réformes, qu’elle croit justes parce qu’issues d’un pouvoir éclairé.

Autre exemple, les inquiétudes à propos de la formation professionnelle en SEGPA. En posant les principes du collège unique et de l’inclusion comme indiscutable, sert-on réellement les intérêts des élèves que l’on croit défendre ? A iD-FO, nous désapprouvons les filières étanches au collège mais tous les élèves ne peuvent pas suivre simultanément des enseignements identiques. Le collège n’est pas le maillon faible comme trop souvent on le répète, il est l’impensé du système éducatif, le révélateur des dysfonctionnements bien plus que l’origine.

Dernier exemple, les débats sur l’enseignement supérieur et la place des CPGE. Nous sommes favorables à un rapprochement avec l’université au sein de conventions mais dans le respect des spécificités de chacun. Nous ne voulons pas d’une « territorialisation » du recrutement des étudiants et de la gestion des personnels sous l’égide du Conseil régional et de l’université locale. Les CPGE produisent des étudiants brillants, enviés dans le monde entier et les noyer dans un ensemble de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants à la gouvernance fragile, ne nous apparaît pas être une solution efficace mais plutôt une posture intellectuelle.

Un détour par l’évaluation ?

La responsabilisation et la participation des acteurs de terrain passent par la reconnaissance et la confiance de la hiérarchie. Ces dernières années, ce mouvement a été stoppé et depuis quelques mois, une pause est apparue : les personnels attendent. Cela étant, nous observons à iD-FO que la direction que semble prendre ce ministère diffère finalement assez peu de celle des ministères précédents : multiplication d’annonces et de chantiers, fonctionnement assez vertical en priorisant l’encadrement académique, ignorance des revendications d’une majorité d’enseignants, confinement des personnels de direction à un rôle de logistique et d’exécutant. Toujours le même réflexe taylorien, la tête pense et conçoit quand la base obéit et réalise. D’ailleurs, la place de l’inspection nous interpelle tant dans le 1er que dans le 2nd degré. Pourquoi l’évaluation des enseignants du 2nd degré doit-elle relever de 2 autorités distinctes (le chef d’établissement et l’inspecteur) alors que cela ne semble pas poser de problème dans les écoles où l’IEN concentre les dimensions didactiques et administratives ?

Nous disons à iD-FO depuis plusieurs années que l’inspecteur ne doit pas peser plus de 50% dans les procédures d’évaluation de tous les enseignants et son rôle, auprès des enseignants, doit être un rôle d’abord et avant tout de conseil. Les corps d’inspection doivent être plus présents auprès des enseignants pour les aider et non pour les évaluer. Aujourd’hui, le système les emploie à du contrôle, de la vérification, de l’audit dans le droit fil de ce que l’on voit dans le privé avec le reporting. On ne suscitera pas l’envie de travailler ensemble et en équipe à une population diplômée et instruite avec ces procédures d’évaluation infantilisante. Les personnes ne sont pas en cause car nombre d’inspecteurs demeurent courtois et bienveillants, mais leur place dans le système n’est plus adaptée à un fonctionnement complexe, en réseau et plus contractuel.

Les quatre exemples précédents traduisent pour nous la domination des idées sur les faits, de l’idéologie sur la réalité. iD-FO veut incarner ce non-alignement sur une « pensée unique ». Aujourd’hui, nous pensons qu’il faut cesser de se payer de mots et avoir une approche plus pragmatique des questions éducatives. Les pays qui ont réformé en profondeur leur système éducatif l’on fait sur deux à trois décennies dans un relatif consensus national. Nous n’y sommes pas opposés mais il faut tenir compte des personnels et de leurs revendications et ne pas les étiqueter de conservateurs quand ils déplaisent !

Il ne s’agit pas de nier les difficultés budgétaires, économiques et sociales de notre pays mais enfin comment ne pas voir que la logique de la modernisation de la fonction publique restreinte à la seule diminution de la dépense publique s’apparente à une vis sans fin, jamais rassasiée d’économies budgétaires.

La politique de rigueur à l’égard de la dépense publique du Chancelier Schröder dans les années 2000 a certainement contribué à la bonne santé économique de l’Allemagne aujourd’hui mais c’est surtout une politique macroéconomique de compression de la demande intérieure qui lui a permis de tirer la croissance grâce à une hausse importante des exportations. C’est l’absence de coordination européenne des politiques économiques qui a permis à l’Allemagne de réaliser des excédents quand ses partenaires maintenaient des politiques économiques et sociales plus généreuses d’amortissement de la conjoncture.

Si un ensemble de pays, fortement intégrés économiquement, mènent conjointement des politiques de rigueur, la sortie de crise et le retour de la croissance sont renvoyées aux calendes grecques ! Si individuellement, nous avons intérêt à faire des économies, cela devient collectivement suicidaire.

Historiquement, les sorties de crises déflationnistes se sont faites par la croissance, l’annulation ou la répudiation des dettes et enfin par le conflit.

Que devient dans ce cadre l’action syndicale s’il n’y a plus de grain à moudre ? Peut-on encore financer une politique ambitieuse pour l’Ecole ? Surtout que Bercy n’a jamais été vraiment généreux avec « l’éduc » même dans les périodes de vaches grasses ! D’où, l’impérieuse nécessité pour l’action de l’Etat de retrouver des marges budgétaires.

FO est la seule fédération syndicale à ne pas avoir appelé à voter pour un candidat lors des dernières élections présidentielles, nous ne « corédigeons » pas les lois (à l’instar de certains !), nous sommes donc libres pour écrire et dire que l’absence de réponses précises aux questions posées par les projets de textes de lois va alimenter demain une critique bien plus étoffée de l’action gouvernementale.

La prégnance de l’ensemble de ces contraintes ne doit pas faire taire nos revendications. Et nous pensons à iD-FO qu’il y a urgence à redresser les indicateurs de l’Ecole pour la réussite de la jeunesse.