Quelle année !

Comment qualifier une telle année et en faire un bilan ? Année chaotique, année folle, annus horribilis selon l’expression chère à certains médias ?

Après un été 2019 pendant lequel les personnels de direction adjoint de lycée (notamment mais pas seulement) ont passé une partie de leurs vacances à travailler sur la réalisation des emplois du temps dont la complexité les a empêché de déconnecter complètement, la période de rentrée a été marquée par des perturbations de toutes sortes.

Cela a commencé par les mouvements de protestation initiés notamment par des enseignants souhaitant revendiquer leur opposition à la réforme des lycées. Même si cela est resté assez circonscrit à quelques établissements par académie, de sérieuses perturbations ont été enregistrées, notamment par le refus des missions de professeur principal. Dans les collèges, les collègues ont découvert les PIAL, avec toutes les questions de responsabilité, de GRH, et d’accroissement inédit de la charge de travail qui en découlent, particulièrement en cas de PIAL inter-degrés. Rappelons qu’Indépendance et Direction a toujours été favorable à l’école inclusive, mais pas dans les conditions actuelles qui mettent les personnels de direction en difficulté à cause de cette charge de travail. Parfois plus de 80 AESH à gérer sans rémunération supplémentaire ni personnels supplémentaires : le constat est très rapide.

Mais l’un des pics de la crise de l’année 2019/2020 s’est brusquement présenté en février de cette année, au moment du passage des E3C par les élèves de Première. Là aussi, la charge de travail pour les organiser a été considérable. Les incertitudes sur la possibilité de numériser les copies à grande échelle ont créé bien des angoisses. Le pire est arrivé dans certains lycées au moment du passage des épreuves, avec des blocus plus ou moins durs et des réactions hostiles à certains personnels de direction dans quelques lycées. Sur Paris notamment mais pas seulement, des scènes d’affrontement quotidiennes ont épuisé nerveusement et physiquement les collègues qui devaient y faire face.

Juste après cette phase difficile est arrivée la période de confinement et la fermeture des établissements scolaires que nous avons apprise comme tout le monde en écoutant l’allocution présidentielle du 15 mars. Là encore les personnels de direction, bons soldats, se sont retrouvés en première ligne. Dans une totale discrétion car aucun média n’a parlé de leur action, ils ont permis la continuité pédagogique, l’accueil des enfants de soignants, souvent seuls dans leur établissement car les autres personnels restaient à domicile. Ils se sont donc transformés en homme (ou femme) orchestre distribuant les tablettes à ceux qui en manquaient, organisant des réunions diverses en distanciel avec les outils dont ils disposaient, répondant quotidiennement aux dizaines de mails ou d’appels téléphoniques de personnels ou usagers inquiets ou interrogatifs des différentes situations qui se présentaient. Cette période particulièrement éprouvante nerveusement le fut aussi physiquement. N’oublions pas que notre profession comprend un certain nombre de personnels dont l’âge peut être un facteur de risque à l’exposition Covid. Quelques-uns d’entre nous ont été d’ailleurs touchés et souffrants.

Pendant ce temps là, les revendications que nous portions fortement depuis la rentrée scolaire voyaient une réponse du ministère avec les réunions de l’agenda social. Nous demandions une revalorisation salariale pour tous les personnels de direction, une revalorisation des carrières par l’augmentation significative du taux de passage à la hors classe et la redéfinition de nos missions puisque le protocole de 2001 est devenu obsolète. Même si on n’est pas à la hauteur des demandes, le principe d’une revalorisation salariale est acté avec 23 millions d’euros débloqués, ce qui constitue une grande nouveauté depuis de très longues années.Pour autant la question du taux de passage en hors classe ainsi que celle de la charge et des conditions de travail ne sont pas réglées au moment d’écrire ces lignes.

Pis encore, en ce qui concerne les conditions de travail depuis la reprise des cours dans les établissements (là aussi, découverte en écoutant les médias), on ne trouve plus de mots pour qualifier leur dégradation. Les personnels de direction sont des professionnels responsables et peuvent comprendre que les incertitudes liées à la méconnaissance concernant le Covid-19 ont pu entraîner une part d’incertitude dans la façon d’organiser la reprise. Mais cela peut-il occulter la façon dont nous avons été traités depuis le 11 mai ? Cela explique-t-il les découvertes radiophoniques ou télévisuelles sur les niveaux de classes qui étaient concernés par la reprise des cours et les contraintes organisationnelles à prendre en compte la veille pour le lendemain ?

Cela justifie-t-il les ordres et contre-ordres sur la tenue en urgence de CA extraordinaires pour valider le protocole sanitaire mis en place dans chaque établissement ? La liste des questions de cet ordre serait trop longue, arrêtons là.

Il est plus intéressant d’analyser la stratégie qui a été employée par notre institution. En réalité, les annonces médiatiques qui nous servent de Bulletin Officiel depuis trop longtemps sont révélatrices d’un mode de gouvernance : c’est l’opinion publique qui est privilégiée, et les directives internes à destination des cadres passent au second plan. Il s’agit d’informer les usagers, faire comprendre les directions prises, les cadres suivront. Nous sommes, certes, dans une société d’hyper information, mais cela justifie-t-il notre ostracisation de la chaîne prioritaire d’information ?

La dernière nouvelle concernant la réouverture des collèges à tous les élèves a fini de démoraliser les collègues. Qui pourrait dire que le retour des élèves dans les établissements avant la fin de l’année n’était pas souhaitable ? Certainement pas les personnels de direction. Mais là encore, le recours privilégié à l’information du public avant même que nous soyons avisés de quoi que ce soit,la modification du protocole sanitaire trois jours avant l’ouverture des collèges pour s’adapter à cette annonce, et enfin celle des textes réglementaires la veille de l’ouverture (un dimanche) ont eu pour résultante de mettre la profession en porte-à-faux vis-à-vis des familles. Ce qu’on avait déjà connu le 11 mai n’a pas manqué de se reproduire : les parents souhaitant mettre leur enfant en cours alors que l’établissement n’avait pas eu le temps ou la possibilité d’accueillir tout le monde dans les conditions de sécurité nécessaires se sont retournés contre les responsables d’établissements pour leur demander des comptes.

Il ne s’agit pas d’être passéiste et de regretter le bon vieux temps des circulaires et du RLR (Recueil des Lois et Règlements) papier. Mais encore une fois, l’Éducation nationale doit faire confiance à ses cadres et leur donner la visibilité nécessaire pour anticiper et exercer convenablement leurs missions. L’ensemble de la profession doit être prioritaire sur toute annonce médiatique à l’égard des usagers concernant la gouvernance du système éducatif. Les responsabilités que nous avons, le temps et la charge de travail que nous connaissons ne peuvent s’accommoder du mode de gouvernance actuel.

Ajouté à toutes les autres vicissitudes conjoncturelles de cette année scolaire, voilà qui a conduit à l’exaspération et à la colère des personnels de direction aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle Indépendance et Direction a lancé le 25 juin l’action #perdirépuisé #perdirencolère dont nous souhaitons qu’elle fera prendre conscience au ministère que nous ne pouvons plus continuer ainsi. Il en va de notre santé.

Bonnes vacances reposantes à toutes et à tous, elles n’ont jamais été aussi méritées !

Franck ANTRACCOLI,
Secrétaire Général