Un bilan et des perspectives

Lorsque l’on fait le bilan de ces dernières années du fonctionnement du système éducatif, le moins que l’on puisse dire est que des modifications profondes ont été apportées par notre ministère. Il serait ici fastidieux et même inutile d’en faire la liste, puisque tous les personnels de direction ont pu eux-mêmes les appréhender dans leur quotidien, et que ce qui importe, ce ne sont pas tant les réformes elles-mêmes que la façon dont elles ont été élaborées et mises en œuvre, ainsi que les bouleversements dans notre quotidien que cela a entraîné.

En effet, en prenant un peu de recul sur ces cinq dernières années, on constate que notre système éducatif n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il était dans la décennie 2010 pourtant proche de nous. Jusque dans ces années, le système évoluait par étapes, dans certains domaines seulement, pour s’adapter aux évolutions sociétales ou économiques. C’est d’ailleurs un reproche que d’aucuns ont pu lui faire, le décrivant comme une superstructure aux habitudes antédiluviennes, incapable de comprendre et de suivre l’évolution du monde, et surtout contre-productif pour l’avenir de nos enfants. On se souvient du « mammouth » d’un ancien ministre assez illustratif d’une certaine pensée à son époque déjà.

Mais depuis cinq ans, la table a été renversée. Le ministre Blanquer qui avait, dans l’une de ses premières déclarations, indiqué qu’il ne serait pas le ministre de la réforme, a, en réalité, introduit le principe de la réforme permanente. Il faut cependant bien considérer qu’il ne s’agit pas de la volonté d’un seul homme, mais bien de celle d’un Président et de son gouvernement et qu’elle ne s’applique pas uniquement à l’Education nationale, mais au pays dans son ensemble.

A l’opposé des adeptes du « c’était mieux avant » on a donc là un Etat qui considère que « avant » est synonyme de ringardise et d’immobilisme et qu’il convient de passer d’un ancien monde, considéré comme dépassé par les évènements et incapable de prendre sa place dans la compétition internationale, à un nouveau, parfaitement en phase avec cette dernière nécessité.

Après tout, on ne peut que souscrire à une volonté de voir évoluer le système scolaire, puisque tout système qui n’évolue pas est voué à l’échec. Ce qui pose aujourd’hui difficulté est le temps qui est dévolu à ces profondes transformations. On a le net sentiment qu’il faut faire le plus vite possible, et que ce qui importe, ce n’est pas d’arriver à un résultat abouti après un temps de mise en œuvre plus ou moins long, mais plutôt d’amorcer le changement en un laps de temps très court, avec la certitude que le mouvement ainsi créé va, de lui-même, trouver les ressources pour permettre de régler les imperfections ou éventuelles erreurs commises dans les réformes imaginées.

Dans une certaine mesure, on est donc plus proche, dans le mode de gouvernance imposé depuis cinq ans, du concept trotskyste de révolution permanente que de celui de réforme. Analogie à prendre avec précaution, bien entendu, car il faut bien considérer que le fondement des réformes actuelles est davantage basé sur une conception capitaliste du monde, que socialiste.

Sans entrer dans une querelle politique, ce qui n’est pas l’objet d’un syndicat comme Indépendance et Direction, force est de constater que, dans le mode de gouvernance imposé, a été oublié ou négligé un paramètre fondamental : celui du facteur humain. En effet, cette révolution ne peut entrer en marche qu’à condition que les personnels chargés de la mise en œuvre puissent suivre le mouvement, à la vitesse que le commandement lui imprime. Mais, on voit bien aujourd’hui les limites de l’exercice : depuis les établissements scolaires jusqu’aux services du ministère en passant par ceux des services déconcentrés, l’intendance ne suit pas, ou plutôt elle n’arrive pas à suivre.

Or, tout le mode de gouvernance de ces cinq dernières années a été basé sur la nécessité de faire vite, pour réformer et pouvoir oublier cet ancien monde tant honni le plus rapidement possible. De là en découlent les annonces du ministre par voie de presse avant que les professionnels que nous sommes ne soient informés, les ordres et contre-ordres permanents qui nous parviennent dans les établissements scolaires, l’incapacité de pouvoir anticiper un grand nombre d’opérations de gestion fondamentales faute de directives ministérielles, l’explosion l’an passé d’un certain nombre de personnels des services rectoraux des examens qui ne peuvent plus travailler dans ces conditions de précarité sur un règlement d’examen du bac qui change tous les ans, l’état de santé mentale inquiétant d’un certain nombre d’élèves dans les établissements, l’état de santé mentale d’un certain nombre de personnels de direction quel que soit le degré d’expérience professionnelle qui sont mis en difficulté et ne trouvent plus de sens à ce métier : on a confondu vitesse et précipitation, et l’intendance n’arrive pas à suivre, d’autant que les instruments de régulation et de dialogue qui existaient (CAPA, CAPN) ont été soigneusement transformés en coquilles vides.

Certes, la crise sanitaire de ces deux dernières années a aussi joué son rôle dans l’affaire. Mais il ne faut pas lui attribuer la responsabilité du mode de gouvernance actuel : nous sommes bien aujourd’hui dans un système dans lequel l’incertitude du lendemain est structurelle et systémique, et non conjoncturelle.

C’est la raison pour laquelle Indépendance et Direction a demandé depuis 2019 qu’une nouvelle charte de pilotage plus protectrice pour nous soit élaborée, et que nous venons de lancer une enquête sur les conditions de travail des personnels de direction. Il ne s’agit pas d’un énième sondage destiné à garnir à terme un tiroir, mais bien du premier acte d’un mouvement destiné à stopper cette frénésie révolutionnaire qui met tant à mal un certain nombre de collègues (sans parler d’un certain nombre des autres personnels de l’Education nationale). Nous voulons que ces résultats soient exploités en CHSCT ministériel afin que les choses changent enfin, et que notre profession puisse retrouver des personnels de direction heureux d’aller au travail et sachant de quoi sera fait leur lendemain.

Nous n’arrêterons pas le combat tant que de réels progrès ne seront pas réalisés dans le mode de gouvernance du ministère : rejoignez-nous car plus nous seront nombreux et pugnaces, et plus nous serons entendus !

D’ici là, bonnes vacances à toutes et à tous et soyez au rendez-vous de la rentrée pour que les choses changent avec Indépendance et Direction.

Franck ANTRACCOLI,
Secrétaire Général

iDées mag n°83