Article Libération : Loi de 2004 sur les signes religieux : «En vingt ans, la compréhension de la loi a changé», jugent les chefs d’établissementsArticle Libération :
Article Libération
Vingt après la promulgation de la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles à l’école, l’accueil dans les établissements se fait en grande majorité sans encombre, assurent leurs chefs, malgré quelques conflits hypermédiatisés.
L’entrée du lycée Maurice-Utrillo à Stains, le 6 septembre 2023. (Denis Allard/Libération)
par Margaux Gable
publié aujourd’hui à 8h07
Chaque matin, devant les grilles de ce lycée parisien, les voiles sont rangés dans les cartables et les croix dissimulées sous les cols des vêtements. Sous l’œil avisé de Didier Georges, proviseur et responsable de l’observatoire de la laïcité du syndicat majoritaire SNPDEN-Unsa, l’accueil se fait en grande majorité «sans encombre». Si dans les couloirs ou dans la cour, signe religieux il y a, «ce sont souvent des oublis plus qu’une démarche de provocation ou de contestation», pointe-t-il. En vingt ans, il est pourtant clair que «la compréhension de la loi a changé», ajoute Agnès Andersen, proviseure et secrétaire générale du syndicat ID-FO. Une question de génération, selon elle : depuis le 15 mars 2004, date de promulgation de la loi sur l’interdiction du port de signes religieux dans l’école publique, «le modèle anglo-saxon, qui veut que chacun vienne comme il est, a gagné du terrain en France. Aujourd’hui, beaucoup d’élèves ne comprennent pas en quoi le port d’un signe peut poser problème». Preuve que les mentalités changent, selon un sondage réalisé par l’institut Kantar Public et financé par le CNRS et l’université de Bordeaux publié en décembre 2023 : 43 % des jeunes de 18 à 30 ans sont favorables à ce que les élèves dans les lycées publics puissent porter des signes religieux ostensibles, contre 31 % qui y restent opposés.
Si les conflits sont plus l’exception que la règle selon le SNPDEN-Unsa, ils existent et restent, par l’hypermédiatisation dont ils sont victimes, de grands moments de crispation politique. Le dernier en date : l’altercation le 28 février dernier entre une étudiante en BTS et le proviseur du lycée Maurice-Ravel, dans le XXe arrondissement de Paris, qui la sommait de retirer son voile. Le lendemain, le lycée a été bloqué et les cours suspendus. Sur les réseaux sociaux, le chef d’établissement a été la cible de menaces de mort, dont le suspect a été interpellé ce 13 mars et sera jugé le mois prochain.
Le point d’orgue de cette crispation est atteint en 2023. Dans son lycée favorisé en banlieue lyonnaise, Gérard Heinz se souvient de «presque 25 élèves par jour» en abaya ou en qamis – tenues traditionnelles du Moyen-Orient portées par-dessus d’autres vêtements – à la fin de l’année scolaire 2022-2023. A l’époque, aucune loi ne tranche sur le sort réservé à ces tenues en milieu scolaire, incombant aux chefs d’établissement d’interdire, ou non, l’accès à l’élève concerné. «Le personnel de direction était mis en difficulté : on n’avait pas de position claire à suivre donc les conflits, parfois véhéments, étaient plus nombreux. Mais dans la plupart des cas, en engageant le dialogue avec la famille, les choses revenaient vite dans l’ordre», abonde-t-il. A la rentrée de septembre, Gabriel Attal prend finalement position, qualifiant le port d’abayas et de qamis de «gestes religieux», proscrits à l’école. «Quoi qu’on en pense, cela a permis de fixer un cadre clair et donc largement respecté», précise Didier Georges.
«Mettre les bons mots»
Si ces dernières années, le débat se cristallise autour du voile, rappelons que la loi de 2004 concerne l’ensemble des signes religieux et ainsi tant le foulard, les chapelets que les kippas. «La loi traite tout le monde de la même manière. Notre rôle est donc d’être très clairs sur les croix qui seraient visibles par exemple, car elles manifestent ostensiblement une apparence religieuse», prévient Didier Georges. Tout en reconnaissant que le nombre et le type de signes religieux varient selon les établissements, le proviseur du lycée parisien se souvient, contrairement à la croyance populaire, avoir eu «plus de soucis avec les croix qu’avec les voiles en vingt ans». Face au danger du dévoiement de la laïcité et à la surmédiatisation des conflits autour du voile, «la priorité est de lever le sentiment de stigmatisation que peuvent ressentir certains élèves. […] Il ne faut pas oublier qu’une des valeurs de la République est la fraternité», pointe Agnès Andersen.
Pour cela, pas de recette miracle : «Il faut communiquer, mettre les bons mots et faire comprendre aux élèves que la laïcité garantit le vivre ensemble». Depuis l’assassinat de Samuel Paty en 2020, les chefs d’établissement semblent unanimes : les choses évoluent. «L’Etat a pris conscience d’un certain nombre de risques, il n’y a pas d’immobilisme», se réjouit Didier Georges. Ces dernières années, l’accent a été mis sur la formation du personnel avec le déploiement, dans chaque académie, d’équipes de formateurs dédiés et de référents laïcité. Objectif louable, mais dispositif insuffisant selon le syndicat majoritaire SNPDEN-Unsa, qui souhaite la formation de l’intégralité des personnels en exercice dans les établissements scolaires, du personnel des collectivités territoriales aux professeurs contractuels.